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PAREIL PAS PAREIL

 Â« Je cogne faiblement sur la porte, après avoir respiré un grand coup. Bien que je vienne de Montréal, me situer sur le site du cégep, n'a pas été facile. J'ai demandé de l'aide à deux étudiants qui flânaient, et ils avaient l'air plus ou moins ravis de m'aider à retrouver mon chemin. J’ouvre la porte et aperçois le coordonnateur, assis sur sa chaise, écrivant sur des documents qui semblent importants. Je me racle la gorge pour lui signifier ma présence. Ce n'est peut-être pas poli d'attendre dans son bureau sans permission. Il lève finalement la tête pour froncer des sourcils. Évidemment, il ne se rappelle plus de m'avoir donné rendez-vous.

 

         - Je ne me rappelle plus de ton visage et, pourtant, je croyais me rappeler de tous les étudiants dans les programmes de français. Est-ce que tu es Allison Lemieux, la nouvelle étudiante?

 

         Il relève ses lunettes tout en me regardant. J'acquiesce, et l'homme m'invite à m'asseoir sur une chaise.

 

         - Te voilà enfin. Je me demandais si tu n'avais pas oublié notre rendez-vous. Tu as quinze minutes de retard. Je ne t'attendais plus. Je m'appelle Sébastien Carpentier, je suis le coordonnateur du programme.

 

         - Oui, je me suis perdue sur le site. J'ai dû demander de l'aide.

 

         Puisque je ne veux pas attirer de mauvaises impressions, cette courte réponse semble la meilleure. Alors que le coordonnateur range ses documents près de son ordinateur, j'en profite pour l'examiner. Il paraît être dans la trentaine, mais son souci indéniable pour son physique le rend plus jeune. Son veston-cravate est porté à merveille, complètement ajusté à son corps athlétique. Le style de cheveux « je viens de me lever » le rend unique. En le croisant dans la rue, jamais je n'aurais pensé qu'il dirige les programmes de français au cégep de Sherbrooke. Il paraît sortir fraîchement de l'université, charmeur de ces dames. Je me retiens pour ne pas le trouver à mon goût. C'est tout de même celui qui gère mon programme. Avoir une relation avec lui serait complètement insensé.

 

         - C'est vrai que tu es une nouvelle étudiante. Ça n'a pas été trop difficile de déménager dans une ville comme Sherbrooke? D'où viens-tu?

 

         J'acquiesce pour répondre à ses questions, alors que le directeur me tend des feuilles:

 

         - J'arrive de Montréal, alors j'ai l'habitude des grandes villes.

 

         - Voici quelques démarches à suivre pour ton inscription, si tu ne l'as pas déjà fait. Tu devras accéder au site Internet du cégep. Je te remets également ton horaire pour cette année que j'ai imprimé spécialement pour toi, si jamais tu n'as pas accès rapidement à ton compte électronique.

 

         - Merci beaucoup.

 

         - Comme indiqué sur ton horaire, tes cours commencent seulement demain. Voilà pourquoi j'ai préféré faire la rencontre aujourd'hui.

 

         Je jette un oeil aux documents. Je suis heureuse de constater un cours de pratique du théâtre. J'étais en concentration théâtre l'année passée, dans mon ancien cégep. Les cours sur l'art étaient intéressants ainsi que les cours de création. J'ai eu la chance de créer ma propre pièce. Malheureusement, ma mère a décidé de déménager. Elle ne pouvait plus vivre dans la maison où mon père est décédé. Il est mort d'un cancer généralisé, il y a environ deux ans. Ma mère ne pouvait plus supporter de sentir constamment sa présence, dans cette maison où ils ont vécu des moments si heureux. Mon grand frère a entendu dire par des connaissances que la meilleure université pour son domaine, l'enseignement au primaire, est à Sherbrooke. C'est donc lui qui a décidé notre prochaine destination.

 

         - Alors, dis-moi, pourquoi avoir choisi le programme d'Art et Lettres? me demande le coordonnateur, en se mettant à l'aise sur sa chaise à roulettes.

 

         - J'adore le théâtre, et c'est le seul programme qui pouvait me permettre d'en faire. J'ai également fait plusieurs cours de littérature par le passé, ce qui m'a permis de m'en faire créditer plusieurs ici. Je n'ai donc pas à commencer le programme en première année.

 

         - Je suis content de t'avoir parmi nous. Le programme a toujours besoin de belles étudiantes.

 

         Il rigole et me tape gentiment le bras. Son humour est peut-être connu des élèves et des membres du personnel, mais elle ne réussit qu'à me mettre mal à l'aise. Je lui souris pour être polie, et il me renvoie un sourire charmeur. Sa bague à l'annulaire que je repère me ressaisit: il a une épouse. Malgré que je sois majeure, une quelconque relation ne peut être permise, vu les circonstances. Je me replace sur ma chaise et le questionne :

 

         - Puisque je n'ai pas tous les cours de deuxième année, si j'ai des problèmes, est-ce que c'est toi que je viens voir?

 

         - Oui, oui. Je suis là pour aider les élèves. Ça me ferait plaisir que tu viennes me parler de tes inquiétudes ou tes problèmes.

 

         J'acquiesce, et il me sourit. L'imprimante dans le passage interrompt notre conversation. Le professeur semble avoir de la difficulté. Le coordonnateur ferme la porte et enlève soudainement son veston. Ses muscles sont davantage proéminents sous sa chemise. Évidemment, je ne peux m'empêcher de regarder. L'homme près de moi est certainement conscient de l'émoi qu'il provoque chez ces jeunes femmes. Elles arrivent toutes du secondaire, où les garçons sont pubères, presque sans grain de masculinité, et elles font face au gérant de ce pavillon qui ressemble à une célébrité d'Hollywood. Je serais prête à parier qu'il a des aventures avec l'une d'entre elles.

 

         - Dans la politique de l'école, les casiers sont partagés avec d'autres étudiants, m'informe-t-il. C'est ce que nous souhaitons, en tout cas. Nous n’en possédons pas assez pour tout le monde, et cela peut faciliter la communication avec les autres élèves. Les étudiants peuvent choisir leurs compagnons, mais, puisque tu viens juste de te joindre à nous, il n’y a plus de casier vacant disponible. Toutefois, tu peux t'informer à la matériathèque, au premier étage, pour être certaine. Je ne sais pas si tu habites en appartement, près du cégep, mais les casiers sont une bonne option, lorsque l'hiver arrive.

 

         - J'irai donc en bas, merci. J'habite chez ma mère, donc une case peut m'être utile.

 

         - Excellent! Est-ce que tu as d'autres questions?

 

         - Je crois que c'est parfait, conclué-je en prenant mon sac qui se trouve par terre, près du banc où je me trouve.

 

         Le trentenaire me souhaite une bonne rentrée scolaire et s'installe devant son ordinateur. Je referme donc discrètement la porte pour enfin retourner chez nous. »

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